Communiqué de presse
L’étoile qui ne devrait pas exister
31 août 2011
Une équipe d’astronomes européens a utilisé le très grand télescope (VLT) de l’ESO pour débusquer une étoile dans la Voie Lactée dont beaucoup croyaient l’existence impossible. Ils ont découvert que cette étoile est composée pratiquement entièrement d’hydrogène et d’hélium, avec seulement une remarquablement faible quantité d’autres éléments chimiques. Cette étonnante composition place donc cette étoile dans la « zone interdite » de la théorie, largement acceptée, de la formation des étoiles, ce qui signifie en premier lieu qu’elle n’aurait jamais dû se former. Ces résultats seront publiés dans l’édition du 1er septembre du journal Nature.
Une étoile peu brillante dans la constellation du Lion, appelée SDSS J102915+172927[1], s’est révélée avoir la plus faible quantité d’éléments plus lourds que l’hélium (ce que les astronomes appellent des « métaux ») de toutes les étoiles étudiées jusqu’à présent. Elle a une masse plus petite que celle du Soleil et a probablement plus de 13 milliards d’années.
« Une théorie largement acceptée prédit que les étoiles de ce type, avec une petite masse et une quantité de métaux extrêmement faible, ne devraient pas exister, car les nuages de matière à partir desquels elles se forment ne pourraient jamais se condenser, » [2], déclare Elisabetta Caffau (Zentrum für Astronomie der Universität Heidelberg, Allemagne et Observatoire de Paris, France), premier auteur de cet article. « Ce fut une surprise de trouver, pour la première fois une étoile dans cette « zone interdite » et cela signifie que nous allons probablement avoir à réviser quelques-uns des modèles de formation d’étoiles. »
L’équipe a analysé les propriétés de l’étoile en utilisant les instruments X-shooter et UVES sur le VLT [3]. Cela lui a permis de mesurer l’abondance des divers éléments chimiques dans cette étoile. Elle a trouvé que la proportion de métaux dans SDSS J102915+172927 est plus de 20 000 fois inférieure à celle du Soleil [4][5].
« Cette étoile est faible et si pauvre en métal que nous n’avons pu détecter que la signature d’un seul élément plus lourd que l’hélium – le calcium- lors de nos premières observations, » explique Piercarlo Bonifacio (Observatoire de Paris, France), qui a supervisé le projet. « Nous avons dû demander du temps de télescope supplémentaire au Directeur Général de l’ESO pour étudier la lumière de cette étoile de manière plus détaillée et avec un long temps d’exposition, pour essayer de trouver d'autres métaux. »
Les cosmologistes croient que les éléments chimiques les plus légers – l’hydrogène et l’hélium- ont été créés peu après le Big Bang, en même temps qu'une partie du lithium [6], alors que la plupart des autres éléments ont été formés plus tard dans les étoiles. Les explosions de supernovae dispersent la matière stellaire dans le milieu interstellaire, l'enrichissant en métaux. Les nouvelles étoiles se forment à partir de ce milieu enrichi, elles ont donc des quantités de métaux plus importantes que les étoiles plus vieilles. Par conséquent, la proportion de métaux d’une étoile nous renseigne sur son âge.
« L’étoile que nous avons étudiée est extrêmement pauvre en métal, ce qui signifie qu’elle est très primitive. Elle pourrait être une des plus vieilles étoiles jamais découvertes, » ajoute Lorenzo Monaco (ESO, Chile), également impliqué dans l’étude.
L’absence de lithium dans SDSS J102915+172927 est aussi très surprenante. Une vieille étoile de ce type devrait avoir une composition semblable a celle de l’Univers peu de temps après le Big Bang, avec un peu plus de métaux. Mais, l’équipe a trouvé que la proportion de lithium de cette étoile était au moins cinquante fois moindre qu’elle est supposée être dans la matière produite par le Big Bang.
« La manière dont a été détruit dans cette étoile le lithium formé juste après le début de l’Univers est un mystère, » ajoute Piercarlo Bonifacio.
Les chercheurs ont également montré que cette étoile insolite n’est probablement pas unique. « Nous avons identifié plusieurs autres étoiles candidates qui doivent avoir des niveaux de métal similaires, voire plus faibles, que dans SDSS J102915+172927. Nous envisageons maintenant de les observer avec le VLT afin de voir si c’est bien le cas, » conclut Elisabetta Caffau.
Notes
[1] Cette étoile est cataloguée dans le Sloan Digital Sky Survey ou SDSS. Les numéros font référence à la position de l’objet dans le ciel.
[2] Les théories largement acceptées sur la formation des étoiles stipulent que les étoiles avec une masse aussi petite que SDSS J102915+172927 (environ 0,8 masse solaire ou moins) ne peuvent s’être formées qu’après que des explosions de supernovae aient enrichi le milieu interstellaire au dessus d’une valeur critique. Ceci car les éléments les plus lourds agissent comme des « agents refroidissants », aidant à évacuer la chaleur des nuages de gaz dans ce milieu, qui peuvent alors s’effondrer pour former des étoiles. Sans ces métaux, la pression due au réchauffement est trop forte et la gravité du nuage serait trop faible pour la surmonter et faire s’effondrer le nuage. Une théorie en particulier identifie le carbone et l’oxygène comme les principaux agents refroidissants et dans SDSS J102915+172927 la quantité de carbone est plus petite que le minimum estimé nécessaire pour que ce refroidissement soit effectif.
[3] X-shooter et UVES sont des spectrographes du VLT – des instruments utilisés pour séparer la lumière des objets célestes dans ses différentes couleurs et permettre des analyses détaillées de leur composition chimique. X-shooter peut capturer une très large gamme de longueurs d’onde du spectre d’un objet en une seule prise (de l’ultraviolet au proche infrarouge). UVES est l’« Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph», un instrument optique de haute résolution.
[4] L’étoile HE 1327-2326, découverte en 2005, a la plus petite quantité de fer connue, mais elle est riche en carbone. L’étoile analysée cette fois à la plus petite proportion de métaux, quand tous les éléments chimiques plus lourds que l’hélium sont considérés.
[5] Les télescopes de l’ESO ont été fortement impliqués dans de nombreuses découvertes de la plupart des étoiles pauvres en métal. Quelques-uns des précédents résultats sont présentés dans les communiqués eso0228 et eso0723 et cette nouvelle découverte montre que les observations réalisées avec les télescopes de l’ESO ont permis aux astronomes de faire un pas de plus vers la découverte de la première génération d’étoiles.
[6] La nucléosynthèse primordiale fait référence à la production des éléments chimiques à plus d’un proton quelques instants après le Big Bang. Cette production s‘est déroulée en très peu de temps, permettant seulement la formation de l’hydrogène de l’hélium et du lithium, mais pas des éléments plus lourds. La théorie du Big Bang prédit, et les observations le confirment, que la matière primordiale était composée d’environ 75% (par masse) d’hydrogène, 25% d’hélium et quelques traces de lithium.
Plus d'informations
Cette recherche a été présentée dans un article, « An extremely primitive halo star » par Caffau et al. Publié dans la revue Nature du 1er septembre 2011.
L’équipe est composée d’Elisabetta Caffau (Zentrum für Astronomie der Universität Heidelberg [ZAH], Allemagne et GEPI — Observatoire de Paris, Université Paris Diderot, CNRS, France [GEPI]), Piercarlo Bonifacio (GEPI), Patrick François (GEPI and Université de Picardie Jules Verne, Amiens, France), Luca Sbordone (ZAH, Max-Planck Institut für Astrophysik, Garching, Allemagne, et GEPI), Lorenzo Monaco (ESO, Chili), Monique Spite (GEPI), François Spite (GEPI), Hans-G. Ludwig (ZAH et GEPI), Roger Cayrel (GEPI), Simone Zaggia (INAF, Osservatorio Astronomico di Padova, Italie), François Hammer (GEPI), Sofia Randich (INAF, Osservatorio Astrofisico di Arcetri, Firenze, Italie), Paolo Molaro (INAF, Osservatorio Astronomico di Trieste, Italie), and Vanessa Hill (Université de Nice-Sophia Antipolis, Observatoire de la Côte d’Azur, CNRS, Laboratoire Cassiopée, Nice, France).
L’ESO - l’Observatoire Européen Austral - est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 15 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et deux télescopes dédiés aux grands sondages. VISTA fonctionne dans l’infrarouge. C’est le plus grand télescope pour les grands sondages. Et, le VLT Survey Telescope est le plus grand télescope conçu exclusivement pour sonder le ciel dans la lumière visible. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant (E-ELT pour European Extremely Large Telescope) de la classe des 40 mètres qui observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
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A propos du communiqué de presse
Communiqué de presse N°: | eso1132fr-ch |
Nom: | SDSS J102915+172927 |
Type: | Milky Way : Star |
Facility: | Very Large Telescope |
Instruments: | UVES, X-shooter |
Science data: | 2011Natur.477...67C |