Communiqué de presse
Premiers signes de l'existence d'interactions au sein de la matière noire ?
Et si la matière noire n'était pas si noire ?
15 avril 2015
Pour la toute première fois, une interaction autre que gravitationnelle a pu être observée au sein de la matière noire. Le suivi d'une collision galactique au moyen du Très Grand Télescope de l'ESO et du Télescope Spatial Hubble du consortium NASA/ESA a effectivement permis de collecter les toutes premières informations concernant la nature de cette mystérieuse composante de l'Univers.
En combinant les données de l'instrument MUSE qui équipe le VLT de l'ESO au Chili aux images acquises par le télescope spatial Hubble, une équipe d'astronomes a pu étudier la collision simultanée de quatre galaxies au sein de l'amas Abell 3827. Elle a notamment été en mesure de localiser la matière contenue au sein de ce système et de comparer la distribution de matière noire aux positions occupées par les galaxies lumineuses.
Etant dotée d'une masse, la matière noire dévie la lumière en provenance des galaxies d'arrière-plan. Cet effet de lentille gravitationnelle a permis à l'équipe de déterminer sa position, en dépit de son invisibilité. Par chance, la collision s'est produite juste devant une cinquième galaxie d'arrière-plan, dont la lumière a dû traverser le champ de la collision avant d'atteindre la Terre. La masse de l'amas a sérieusement déformé l'espace-temps, et donc dévié le trajet de la lumière en provenance de la galaxie lointaine.
Dans l'état actuel de nos connaissances, il apparaît que toutes les galaxies résident au sein de vastes réservoirs de matière noire. La masse de la matière noire, et donc la gravitation qu'elle engendre, permet à des galaxies telle que la Voie Lactée de conserver leur cohésion, en dépit de leur rotation. A cette fin, 85% de la masse totale de l'Univers [1] doit être constituée de matière noire. A ce jour, sa vraie nature demeure toutefois mystérieuse.
C'est en observant la collision entre quatre galaxies que les chercheurs ont découvert l'éloignement progressif d'un réservoir de matière noire par rapport à la galaxie qu'il entoure. La matière noire se situe en effet à quelque 5 000 années-lumière derrière cette galaxie, ce qui représente 50 000 millions de millions de kilomètres. A titre indicatif, rien moins que 90 millions d'années seraient nécessaires à la sonde Voyager de la NASA pour s'éloigner d'autant de la Voie Lactée.
Les théories envisagent un possible éloignement de la matière noire et de la galaxie associée. Pour ce faire, il est nécessaire que la matière noire interagisse avec elle-même, même faiblement, au travers de forces distinctes de la gravitation [2]. Jusqu'à présent, personne n'avait encore observé l'existence d'interactions autres que gravitationnelles au sein de la matière noire.
Richard Massey de l'Université de Durham, auteur principal de cette étude, avance une première explication : « Nous percevons communément la matière noire comme un objet immobile, voire inerte, qui se contente d'exercer une attraction gravitationnelle sur son environnement proche. Mais le fait qu'elle ait été ralentie durant cette collision pourrait bien constituer la toute première preuve de l'existence d'une physique propre à ce côté obscur - l'Univers caché qui nous entoure. »
Les chercheurs soulignent la nécessité de rechercher d'autres causes possibles de ce décalage spatial. De semblables observations d'un plus grand nombre de galaxies, ainsi que des simulations numériques de collisions galactiques, sont ainsi requises.
Liliya Williams de l'Université du Minnesota, membre de l'équipe, ajoute : « La façon dont la matière noire interagit gravitationnellement, contribuant à sculpter l'Univers, atteste de son existence. Toutefois, sa véritable nature nous échappe encore. Nos observations suggèrent la possibilité que la matière noire interagisse par le biais d'autres forces que la gravitation. Elles permettent donc d'exclure certaines hypothèses clés concernant sa vraie nature. »
Cette conclusion s'inscrit dans la continuité des résultats d'une étude récente menée par cette même équipe. Au vu de cette étude, qui consistait en l'observation de 72 collisions entre amas galactiques [3], il est apparu que la matière noire interagissait très peu avec elle-même. Toutefois, le présent travail s'intéresse au mouvement des galaxies individuelles, non à celui des amas de galaxies. Aux dires des chercheurs, il est fort possible que les collisions entre ces galaxies aient duré plus longtemps que les collisions ayant fait l'objet d'une observation dans le cadre de la précédente étude – permettant ainsi aux effets d'une force de frottement – même de faible amplitude – de s'accumuler au fil du temps et d'engendrer un décalage mesurable [4].
Considérés simultanément, les résultats issus de ces deux études permettent, pour la toute première fois, « d'encadrer » le comportement de la matière noire. La matière noire interagit davantage que prévu, mais moins qu'attendu. Massey d'ajouter : « Nous sommes enfin en mesure de délimiter les propriétés de la matière noire – notre connaissance naviguant dans l'une et l'autre directions. »
Notes
[1] Les astronomes ont découvert que le contenu matière/énergie de l'Univers se répartit comme suit : 68% d'énergie noire, 27% de matière noire et 5% de matière “ordinaire”. Ainsi donc, la matière noire représente 85% de la masse totale de l'Univers actuel.
[2] Les simulations numériques invitent à penser que la friction supplémentaire causée par la collision pourrait ralentir la matière noire. La nature de cette interaction demeure inconnue ; elle pourrait résulter d'effets bien connus ou d'une force exotique encore inconnue. A ce stade toutefois, il est possible d'affirmer que la gravitation n'est en rien responsable de ce ralentissement.
[3] Les amas de galaxies peuvent contenir un millier de galaxies.
[4] La durée de la collision constitue la principale inconnue du problème : la force de frottement responsable du ralentissement de la matière noire peut être de très faible intensité et avoir agi durant un milliard d'années, ou bien au contraire être de forte intensité et n'avoir agi qu'un centaine de millions d'années.
Plus d'informations
Ce travail de recherche a fait l'objet d'un article intitulé “The behaviour of dark matter associated with 4 bright cluster galaxies located in the 10 kpc core of Abell 3827”, à paraître dans l'édition du 15 avril 2015 de la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
L'équipe est composée de R. Massey (Institut de Cosmologie Numérique, Université de Durham, Durham, Royaume-Uni), L. Williams (Ecole de Physique et d'Astronomie, Université du Minnesota, Minneapolis, Minnesota, Etats-Unis), R. Smit (Institut de Cosmologie Numérique, Royaume-Uni), M. Swinbank (Institut de Cosmologie Numérique, Royaume-Uni), T. D. Kitching (Laboratoire Mullard dédié à la Science Spatiale, University College London, Dorking, Surrey, Royaume-Uni), D. Harvey (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Observatoire de Sauverny, Versoix, Suisse), H. Israel (Institut de Cosmologie Numérique, Royaume-Uni), M. Jauzac (Institut de Cosmologie Numérique, Royaume-Uni; Département de Recherche en Astrophysique et Cosmologie, Ecole des Sciences Mathématiques, Université de KwaZulu-Natal, Durban, Afrique du Sud), D. Clowe (Département de Physique et d'Astronomie, Université de l'Ohio, Athens, Ohio, Etats-Unis), A. Edge (Département de Physique, Université de Durham, Durham, Royaume-Uni), M. Hilton (Département de Recherche en Astrophysique et Cosmologie, Afrique du Sud), E. Jullo (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, CNRS, Université d’Aix-Marseille, Marseille, France), A. Leonard (University College London, Londres, Royaume-Uni), J. Liesenborgs (Univertsité d’Hasselt, Diepenbeek, Belgique), J. Merten (Jet Propulsion Laboratory, Institut de Technologie de Californie, Pasadena, Californie, Etats-Unis), I. Mohammed (Institut de Physique, Université de Zürich, Zürich, Suisse), D. Nagai (Département de Physique, Université de Yale, New Haven, Connecticut, Etats-Unis), J. Richard (Observatoire de Lyon, Université de Lyon, Saint Geniès Laval, France), A. Robertson (Institut de Cosmologie Numérique, Royaume-Uni), P. Saha (Institut de Physique, Suisse), R. Santana (Département de Physique et d'Astronomie, Université de l'Ohio, Athens, Ohio, Etats-Unis), J. Stott (Département de Physique, Durham, Royaume-Uni) et E. Tittley (Observatoire Royal, Edinbourg, Royaume-Uni).
L'ESO est la première organisation intergouvernementale pour l'astronomie en Europe et l'observatoire astronomique le plus productif au monde. L'ESO est soutenu par 15 pays : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L'ESO conduit d'ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l'astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d'importantes découvertes scientifiques. L'ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l'organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L'ESO gère trois sites d'observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l'ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l'observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et deux télescopes dédiés aux grands sondages. VISTA fonctionne dans l'infrarouge. C'est le plus grand télescope pour les grands sondages. Et, le VLT Survey Telescope (VST) est le plus grand télescope conçu exclusivement pour sonder le ciel dans la lumière visible. L'ESO est le partenaire européen d'ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L'ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d'un télescope européen géant (E-ELT pour European Extremely Large Telescope) de la classe des 39 mètres qui observera dans le visible et le proche infrarouge. L'E-ELT sera « l'œil le plus grand au monde tourné vers le ciel ».
Liens
Contacts
Richard Massey
Institute for Computational Cosmology
Durham University, United Kingdom
Tél: +44 (0) 7740 648080
Courriel: r.j.massey@durham.ac.uk
Richard Hook
ESO, Public Information Officer
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Joerg Gasser (contact presse pour la Suisse)
Réseau de diffusion scientifique de l'ESO
Courriel: eson-switzerland@eso.org
A propos du communiqué de presse
Communiqué de presse N°: | eso1514fr-ch |
Nom: | Abell 3827 |
Type: | Early Universe : Galaxy : Grouping : Cluster Early Universe : Cosmology : Phenomenon : Lensing Early Universe : Cosmology : Phenomenon : Dark Matter |
Facility: | Hubble Space Telescope, Very Large Telescope |
Instruments: | MUSE, VIMOS |
Science data: | 2015MNRAS.449.3393M |