Communiqué de presse
Un trou noir affamé renvoie une galaxie brillante dans l’ombre
15 septembre 2016
Aidée du Très Grand Télescope de l’ESO, du Télescope Spatial Hubble du consortium NASA/ESA et de l’Observatoire Chandra X-Ray de la NASA, une équipe internationale d’astronomes est parvenue à résoudre le mystère de l’exceptionnel changement de comportement d’un trou noir supermassif au cœur d’une galaxie lointaine. Il semble que le trou noir ait connu des temps difficiles et ne dispose plus de suffisamment de carburant pour illuminer son proche environnement.
De nombreuses galaxies sont dotées d’un noyau extrêmement brillant alimenté par un trou noir supermassif. Ces noyaux transforment les “galaxies actives” en certains des objets les plus brillants de l’Univers. Leur brillance extrême s’expliquerait par la chute de matière chaude à l’intérieur du trou noir, un phénomène baptisé accrétion. Cet intense rayonnement varie grandement d’une galaxie active à l’autre, de sorte que les propriétés de la lumière qu’elles émettent constituent la base de la classification de ces galaxies en différents types [1].
Diverses observations ont révélé que certaines de ces galaxies changeaient de façon spectaculaire au cours d’une décennie à peine – un clin d’œil à l’échelle de temps astronomique. La galaxie active Markarian 1018, objet de cette nouvelle étude, a ainsi opéré rien moins que deux transformations, la seconde lui ayant permis de recouvrer son aspect initial en l’espace de cinq ans. Ce cycle complet, par ailleurs observé chez quelques autres galaxies, a pour la première fois fait l’objet d’une étude détaillée.
La découverte de la nature changeante de Markarian 1018 a été permise par le Sondage de Référence des AGN Proches (CARS), un projet alliant l’ESO à diverses autres organisations dont l’objectif consiste à recueillir des informations sur 40 galaxies proches dotées de noyaux actifs. Des observations de routine de Markarian 1018 effectuées grâce à l’instrument MUSE (Multi-Unit Spectroscopic Explorer) installé sur le Très Grand Télescope de l’ESO ont révélé l’étrange variation de brillance de la galaxie.
“Nous avons été stupéfaits d’observer le changement si rare et spectaculaire de Markarian 1018” explique Rebecca McElroy, auteur principal de l’article, doctorante à l’Université de Sydney et membre du Centre d’Excellence en Astrophysique ARC (CAASTRO).
La chance d’observer cette galaxie au tout début de sa phase de décroissance de luminosité nous a offert l’incroyable opportunité d’en comprendre la cause, ajoute Bernd Husemann, chef du projet CARS et auteur principal de l’un des deux articles relatifs à cette découverte : “Nous avons eu la chance de détecter cet événement 3-4 jours seulement après que le déclin ait débuté, ce qui nous a permis de mettre en place le suivi d’observations nécessaire pour étudier, dans le détail, le phénomène d’accrétion au sein des galaxies actives. Un phénomène qui ne peut être étudié autrement.”
L’équipe de chercheurs profita de cette occasion, faisant de l’identification du processus à l’origine de la variation si brutale de luminosité de Markarian 1018 leur priorité première. De nombreux événements astrophysiques auraient pu en être la cause, mais l’équipe a pu éliminer l’ingestion d’une simple étoile par le trou noir [2] et jeté le doute sur la possibilitéde l’obscurcissement généré par un gaz environnant [3]. La première série d’observations ne permit pas d’identifier le processus véritablement responsable de la chute de luminosité de Markarian 1018.
Mais l’équipe a pu se procurer des données complémentaires, suite à l’allocation de temps d’observation auprès du Télescope Spatial Hubble du consortium NASA/ESA et de l’Observatoire Chandra X-Ray de la NASA. L’acquisition de ces nouvelles données par cette série d’instruments leur a permis de résoudre le mystère – privé de matériau d’accrétion, le trou noir s’obscurcissait lentement.
“Il est possible que cette privation de nourriture résulte d’une perturbation dans l’afflux de carburant” explique Rebecca McElroy. “A moins qu’elle ne soit due à des interactions avec un second trou noir supermassif”. Markarian 1018 étant le produit de la fusion majeure de deux galaxies dotées chacune d’un trou noir supermassif central, l’hypothèse d’un tel système binaire est envisageable en effet.
Les processus à l’œuvre au sein des galaxies actives, tel celui conduisant au changement d’apparence de Markarian 1018, continuent à faire l’objet d’études poussées. “L’équipe a dû travailler rapidement pour déterminer l’origine de l’assombrissement de Markarian 1018”, précise Bernd Husemann. “Diverses campagnes de suivi au moyen des télescopes de l’ESO et de divers autres instruments sont en cours. Elles nous permettront d’explorer plus en détails le monde fascinant des trous noirs affamés et des galaxies actives changeantes.”
Notes
[1] Les galaxies actives les plus brillantes sont des quasars : la luminosité de leur cœur surpasse celle du reste de la galaxie. Les galaxies de Seyfert constituent une autre classe, moins brillante. A l’origine, une méthode basée sur la luminosité et le spectre en émission – soit l’intensité du rayonnement émis à différentes longueurs d’onde – permettait d’effectuer la distinction entre deux types de galaxies de Seyfert, les unes de Type 1, les autres de Type 2. Depuis lors, des classifications supplémentaires de Type 1.9 ont été introduites.
[2] Un effet de marée de ce type se produit lorsqu’une étoile, située à trop grand proximité d’un trou noir supermassif, se trouve étirée par le champ de gravitation extrême. S’ensuit une augmentation conséquente de la luminosité de la région centrale, puis son lent déclin au fil des années. Les variations de luminosité observées à la surface de Markarian 1018 n’étaient pas compatibles avec la survenue d’un tel événement.
[3] L’obscurcissement généré par un gaz peut affecter la mesure de luminosité d’une galaxie active ainsi que son spectre – par voie de conséquence, sa classification. En effet, le gaz situé sur la ligne de visée se comporte comme du brouillard situé à l’avant des phares d’une voiture.
Plus d'informations
Ce travail de recherche a fait l’objet de deux articles intitulés “Mrk 1018 returns to the shadows after 30 years as a Seyfert 1”, et “What is causing Mrk 1018’s return to the shadows after 30 years?”, à paraître au sein des Lettres de la même revue : Astronomy & Astrophysics.
L’équipe se compose de B. Husemann (ESO, Garching, Allemagne), T. Urrutia (Institut Leibniz dédié à l’Astrophysique, Potsdam, Allemagne), G. R. Tremblay (Centre d’Astronomie et d’Astrophysique de Yale, New Haven, Etats-Unis), M. Krumpe (Institut Leibniz dédié à l’Astrophysique, Potsdam, Allemagne), J. Dexter (Institut Max Planck dédié à la Physique Extraterrestre, Garching, Allemagne), V. N. Bennert (Département de Physique, Université d’Etat Polytechnique de California, Etats-Unis), G. Busch (Institut de Physique, Université de Cologne, Allemagne), F. Combes (LERMA, Observatoire de Paris, France), S. M. Croom (Institut d’Astronomie de Sydney, Sydney, Australie & Centre d’Excellence en Astrophysique ARC), T. A. Davis (Ecole de Physique & d’Astronomie, Université de Cardiff, Royaume-Uni), A. Eckart (Institut de Physique de l’Université de Cologne, Allemagne ; Institut Max Planck dédié à la Radioastronomie, Bonn, Allemagne), R. E. McElroy (Institut d’Astronomie de Sydney, Sydney, Australie & Centre d’Excellence en Astrophysique ARC), M. Pérez-Torres (Institut d’Astrophysique d’Andalousie, Grenade, Espagne), M. Powell (Centre d’Astronomie et d’Astrophysique de Yale, New Haven, Etats-Unis) et J. Scharwächter (Observatoire Gemini, Centre Opérationnel Nord, Hawaii, Etats-Unis).
L'ESO est la première organisation intergouvernementale pour l'astronomie en Europe et l'observatoire astronomique le plus productif au monde. L'ESO est soutenu par 15 pays : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L'ESO conduit d'ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l'astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d'importantes découvertes scientifiques. L'ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l'organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L'ESO gère trois sites d'observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l'ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l'observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et deux télescopes dédiés aux grands sondages. VISTA fonctionne dans l'infrarouge. C'est le plus grand télescope pour les grands sondages. Et, le VLT Survey Telescope (VST) est le plus grand télescope conçu exclusivement pour sonder le ciel dans la lumière visible. L'ESO est le partenaire européen d'ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L'ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d'un télescope européen géant (E-ELT pour European Extremely Large Telescope) de la classe des 39 mètres qui observera dans le visible et le proche infrarouge. L'E-ELT sera « l'œil le plus grand au monde tourné vers le ciel.
Liens
Contacts
Bernd Husemann
European Southern Observatory
Garching bei München, Germany
Tél: +49 89 3200 6750
Courriel: bhuseman@eso.org
Rebecca McElroy
University of Sydney
Sydney, Australia
Tél: +61 421 882 513
Courriel: rebecca.mcelroy@sydney.edu.au
Richard Hook
ESO Public Information Officer
Garching bei München, Germany
Tél: +49 89 3200 6655
Mobile: +49 151 1537 3591
Courriel: rhook@eso.org
Thierry Botti (contact presse pour la France)
Réseau de diffusion scientifique de l'ESO
et Laboratoire d'Astrophysique de Marseille
Marseille, France
Tél: +33 4 95 04 41 06
Courriel: eson-france@eso.org
A propos du communiqué de presse
Communiqué de presse N°: | eso1631fr |
Nom: | Markarian 1018 |
Type: | Local Universe : Galaxy : Activity : AGN : Seyfert |
Facility: | Very Large Telescope |
Instruments: | MUSE |
Science data: | 2016A&A...593L...8M |