Communiqué de presse
Des bulles géantes à la surface d’une géante rouge
20 décembre 2017
Grâce au Very Large Telescope de l’ESO, des astronomes ont pour la toute première fois observé des motifs granulaires à la surface d’une étoile située à l’extérieur du Système Solaire – la vieille géante rouge π1 Gruis. Cette nouvelle image acquise par l’instrument PIONIER révèle la présence de cellules convectives à la surface de cette étoile dont le diamètre avoisine les 350 diamètres solaires. Chaque cellule couvre plus du quart du diamètre de l’étoile et s’étend sur quelque 120 millions de kilomètres. Ces nouveaux résultats paraîtront cette semaine dans la revue Nature.
Distante de quelque 530 années-lumière de la Terre et située dans la constellation de la Grue, π1 Gruis est une géante rouge de température peu élevée. Sa masse est semblable à celle de notre Soleil, son diamètre est 350 fois plus grand, et sa brillance des milliers de fois supérieure [1]. Dans quelque 5 milliards d’années, notre Soleil gonflera au point de devenir une semblable géante rouge.
Une équipe internationale d’astronomes pilotée par Claudia Paladini (ESO) a utilisé l’instrument PIONIER installé sur le Very Large Telescope de l’ESO pour observer π1 Gruis à un niveau de détail encore inégalé. Il est ainsi apparu que la surface de cette géante rouge était couverte d’un nombre restreint de cellules convectives, ou granules, qui s’étendent sur quelque 120 millions de kilomètres – ce qui représente le quart du diamètre stellaire [2]. Un seul de ces granules couvrirait la surface comprise entre le Soleil et l’orbite de la planète Vénus. Les surfaces – baptisées photosphères – de nombreuses géantes rouges sont obscurcies par la poussière, ce qui brouille les observations. Dans le cas de π1 Gruis toutefois, la présence de poussière dans l’environnement stellaire n’a pas d’effet significatif sur les nouvelles observations infrarouges [3].
Lorsque l’hydrogène vint à manquer au cœur de π1 Gruis, le premier stade de fusion nucléaire prit fin. Le volume de l’étoile diminua à mesure qu’elle perdit de l’énergie, et sa température interne augmenta progressivement jusqu’à dépasser les 100 millions de degrés. S’ensuivit l’enclenchement de la seconde étape de fusion nucléaire, qui transforme l’hélium en atomes plus lourds de carbone et d’oxygène. Puis, le noyau intensément chaud expulsa les enveloppes externes de l’étoile, ce qui se traduisit par l’augmentation de sa taille de plusieurs centaines de fois. L’étoile que nous observons à présent est une géante rouge variable. La surface d’une étoile de ce type n’avait encore jamais été imagée de façon si détaillée.
À titre comparatif, la photosphère du Soleil se compose de quelque deux millions de cellules convectives dont les diamètres avoisinent les 1500 kilomètres. L’énorme différence de taille des cellules convectives couvrant les surfaces de l’une et l’autre étoile s’explique en partie par la variabilité de leurs gravités surfaciques. La masse de π1 Gruis équivaut à 1,5 masse solaire, mais ses dimensions sont largement supérieures, ce qui se traduit par une gravité de surface nettement moindre et la présence d’un nombre plus faible de granules de grande dimension.
Les étoiles de masse supérieure à huit masses solaires achèvent leurs existences en explosant en supernova. A l’inverse, les étoiles moins massives telle π1 Gruis expulsent progressivement leurs enveloppes externes, donnant lieu à la formation de splendides nébuleuses planétaires. Les études antérieures de π1 Gruis ont mis en évidence l’existence d’une enveloppe de matière à 0,9 année-lumière de l’étoile centrale, dont l’éjection remonterait à 20 000 ans. Cette période relativement courte à l’échelle de vie d’une étoile – de plusieurs milliards d’années – s’étend sur quelques dizaines de milliers d’années seulement. Ces observations offrent une nouvelle méthode de détection de cette courte phase de géante rouge.
Notes
[1] L’appellation de π1 Gruis s’inscrit dans le cadre de l’adoption du système de désignation de Bayer. En 1603, l’astronome allemand Johann Bayer classifia 1564 étoiles, attribuant à chacune d’elles une lettre grecque suivie du nom de leur constellation hôte. Généralement, l’attribution des lettres grecques s’effectue dans l’ordre de leur brillance apparente, la plus lumineuse d’entre elles se nommant alpha (α). L’étoile la plus brillante de la constellation de la Grue a donc été baptisée Alpha Gruis.
π1 Gruis appartient à un système binaire d’étoiles aux couleurs contrastées, situées à proximité l’une de l’autre, son compagnon portant naturellement la désignation π2 Gruis. L’une et l’autre étoile sont suffisamment brillantes pour pouvoir être observées au travers de jumelles. En 1830, Thomas Brisbane comprit que π1 Gruis consistait également en un système binaire encore plus proche. Annie Jump Cannon, célèbre pour la création de la classification de Harvard, fut la première à rendre compte du spectre inhabituel de π1 Gruis en 1895.
[2] Les granules sont caractéristiques des courants de convection qui animent le plasma d’une étoile. A mesure que le plasma s’échauffe au cœur de l’étoile, il s’étend et chemine vers la surface, puis se refroidit en périphérie, s’assombrissant et gagnant en densité, et enfin plonge vers le centre de l’étoile. Ce phénomène se poursuit des milliards d’années durant et joue un rôle essentiel dans de nombreux processus astrophysiques tels le transport d’énergie, la pulsation, le vent stellaire et les nuages de poussière sur les naines brunes.
[3] π1 Gruis est l’un des membres les plus brillants de la rare classe S d’étoiles définie pour la première fois par l’astronome américain Paul W. Merrill et qui rassemble les étoiles dotées de spectres inhabituels. π1 Gruis, R Andromedae et R Cygni sont caractéristiques de ce type d’étoiles. Leur spectre inhabituel résulte de la survenue du processus-s – un lent processus de capture de neutron – responsable de la création de la moitié des éléments plus lourds que le fer.
Plus d'informations
Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé “Large granulation cells on the surface of the giant star π1 Gruis”, par C. Paladini et al., paru dans l‘édition du 21 décembre 2017 de la revue Nature.
L’équipe est composée de C. Paladini (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique; ESO, Santiago, Chili), F. Baron (Université de l’État de Géorgie, Atlanta, Georgie, Etats-Unis), A. Jorissen (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), J.-B. Le Bouquin (Université Grenoble Alpes, CNRS, IPAG, Grenoble, France), B. Freytag (Université d’Uppsala, Uppsala, Suède), S. Van Eck (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), M. Wittkowski (ESO, Garching, Allemagne), J. Hron (Université de Vienne, Vienne, Autriche), A. Chiavassa (Laboratoire Lagrange, Université de Nice Sophia-Antipolis, CNRS, Observatoire de la Côte d’Azur, Nice, France), J.-P. Berger (Université Grenoble Alpes, CNRS, IPAG, Grenoble, France), C. Siopis (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), A. Mayer (Université de Vienne, Vienna, Autriche), G. Sadowski (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), K. Kravchenko (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), S. Shetye (Institut d’Astronomie et d’Astrophysique, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique), F. Kerschbaum (Université de Vienne, Vienne, Autriche), J. Kluska (Université d’Exeter, Exeter, Royaume-Uni) et S. Ramstedt (Université d’Uppsala, Uppsala, Suède).
L'ESO est la première organisation intergouvernementale pour l'astronomie en Europe et l'observatoire astronomique le plus productif au monde. L'ESO est soutenu par 15 pays : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L'ESO conduit d'ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l'astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d'importantes découvertes scientifiques. L'ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l'organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L'ESO gère trois sites d'observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l'ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l'observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et deux télescopes dédiés aux grands sondages. VISTA fonctionne dans l'infrarouge. C'est le plus grand télescope pour les grands sondages. Et, le VLT Survey Telescope (VST) est le plus grand télescope conçu exclusivement pour sonder le ciel dans la lumière visible. L'ESO est le partenaire européen d'ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L'ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d'un télescope géant (ELT pour Extremely Large Telescope) de la classe des 39 mètres qui observera dans le visible et le proche infrarouge. L'ELT sera « l'œil le plus grand au monde tourné vers le ciel.
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A propos du communiqué de presse
Communiqué de presse N°: | eso1741fr-be |
Nom: | π1 Gruis |
Type: | Milky Way : Star : Evolutionary Stage : Red Giant |
Facility: | Very Large Telescope |
Instruments: | PIONIER |
Science data: | 2018Natur.553..310P |